2 novembre 2015

le métier

Evaluation : réunionite aiguë, polyvalence et surveillance de masse

Au motif de faire cesser « l ?évaluation sanction », de « privilégier une évaluation positive » et simplifiée des élèves, Madame la ministre de l ??ducation Nationale vient de dévoiler les grandes lignes d ?un projet de décret et deux projets d ?arrêtés visant à réformer l ?évaluation.
 ? la lecture de ce document, on est pourtant bien loin du choc de simplification annoncé dans l ?exposé des motifs. Le nouveau livret comporterait huit champs obligatoires et trois pages de bulletins à remplir par élève, à chaque bilan périodique. Le renseignement de ce livret acterait la mise en bière de l ?enseignement disciplinaire au collège, au profit d ?un enseignement et d ?une évaluation qui deviendraient progressivement polyvalents. La numérisation systématique des données scolaires et comportementales des élèves - et de la progression pédagogique de leurs professeurs - dans un livret scolaire unique numérique, permettrait par ailleurs le fichage à grande échelle de tous les futurs citoyens, de l ?école élémentaire jusqu ?au baccalauréat. Décrytpage

Trois pages de livret et huit champs obligatoires

Devraient être renseignés, à chaque évaluation périodique, c ?est-à-dire trois fois l ?an pour chaque élève, huit champs obligatoires. Soit : 1. un bilan de l ?acquisition des connaissances et compétences et des conseils pour progresser ; 2. un suivi des acquis scolaires par compétences de l ?élève pour chaque enseignement - EPI compris - (éléments du programme du cycle travaillés ; acquisitions et difficultés éventuelles de l ?élève ; moyenne) ; 3. une description et une évaluation de actions réalisées dans le cadre de l ?AP (Accompagnement Personnalisé) ; 4. la mention et l ?appréciation des projets réalisés dans le cadre des EPI, en précisant la thématique travaillée et les disciplines d ?enseignement concernées ; 5. la mention et l ?appréciation des projets mis en ?uvre dans le cadre du parcours d ?éducation artistique et culturelle, du parcours citoyen et du parcours avenir ; 6. la mention des modalités spécifiques d ?accompagnement mises en place pour les dispositifs PAP, PPRE, PPS, UPE2A, SEGPA, ULIS, PAI ; 7. la mention des v ?ux d ?orientation et de la décision d ?orientation pour la classe de 3e ; 8. des éléments d ?appréciation portant sur la vie scolaire (assiduité, ponctualité ; respect du règlement intérieur ; participation à la vie de l ?établissement).

Une disparition progressive de la notation disciplinaire pour promouvoir un enseignement polyvalent.

Sans surprise, le projet d’évaluation révèle avec la plus grande acuité les aspects les plus nocifs de la réforme du collège. Les domaines du socle commun du cycle 3 (CM1-CM2-6è) font ainsi la part belle à la polyvalence. ? l’exception de quatre disciplines (Français, Mathématiques, EPS et Histoire-Géographie), la majorité des disciplines seraient désormais évaluées de façon polyvalente par « pôles » interdisciplinaires (Arts ; langues ; sciences). Et l’on retrouve le spectre d’un enseignement polyvalent au collège calqué sur le modèle de l’école primaire, permettant le recrutement de professeurs des écoles, afin de faire des économies sur la masse salariale et de pallier la crise de recrutement. Dès lors, plus rien ne s’opposerait à la mise en commun d’heures de cours disciplinaires par pôle pluridisciplinaires. Au gré des carences en ressources humaines, les collègues d’une discipline pourraient le cas échéant, suppléer, voire remplacer le collègue d’une discipline voisine, et évaluer les acquisitions de leurs élèves de manière polyvalente.

En ce qui concerne le cycle 4, la nouvelle mouture du socle commun impose une évaluation par compétence sous la forme d’un « Super-LPC », c’est-à-dire une version alourdie de la version précédente qui avait été massivement rejetée par la profession. Les cinq domaines du socle imposent une évaluation interdisciplinaire dans le cadre d’évaluations disciplinaires, ce qui posera de redoutables problèmes en cas de désaccord des équipes pédagogiques, lors des bilans périodiques. Ce sera alors au Chef d’établissement d’arbitrer. Il est à craindre une évaluation démagogique, bien plus révélatrice des objectifs de performances de ce dernier, que des acquis des élèves.

Enfin l’évaluation des fameux EPI (Enseignements Pratiques et Interdisciplinaires) donnera lieu à des évaluations orales, calquées sur l’actuelle évaluation « maison » de l’histoire des Arts. Il y aura autant de modalités d’évaluations et de type d’épreuves que d’établissements, or ce celles-ci devraient entrer en ligne de compte pour l’évaluation terminale du DNB. Ce projet pérennise et amorce une dérégulation sans précédent du système éducatif. Par sa cohérence et son ampleur, il va beaucoup plus loin et planifie la destruction programmée du service public unifié de l ??ducation Nationale.

Le livret scolaire unique numérique : le fichage des élèves de l ?élémentaire jusqu ?au baccalauréat

Enfin, cette réforme donne le feu vert à la surveillance de masse, en introduisant la mise en ?uvre d’un Livret unique numérique. Les éléments recueillis à chaque bilan périodique seraient numérisés et conservés durant toute la scolarité de l ?élève, dans une application informatique nationale, - document hybride conçu à partir du croisement des fichiers base-élève et de feu le LPC - dénommé livret scolaire unique numérique. Il comporterait pour chaque cycle de la scolarité obligatoire, l ?ensemble des bilans périodiques de l ?évolution des acquis scolaires de l ?élève du cycle ; les bilans de fin des cycles 2, 3 et 4.

Cette disposition, si elle était adoptée, nous laisse présager du pire en ce qui concerne le respect des libertés des citoyens et des futurs salariés de ce pays. Il ouvrirait le droit pour l ??tat de constituer légalement des fichiers consignant des informations détaillées et informatisées sur le profil scolaire, comportemental et social de chaque élève. Plus rien dès lors, n ?empêcherait ultérieurement la saisie de ces informations sur simple présomption de culpabilité d ?un élève par la justice. Il en serait de même sur le plan économique, ou rien n ?empêcherait les employeurs de faire pression sur les salariés lors d ?un entretien d ?embauche pour disposer de ces informations.

Ainsi, après s ?être attaqué aux libertés fondamentales avec la loi sur le renseignement et l ?information ; après s ?être acharné contre le code du travail et l ?avoir réduit en miette ; ce gouvernement renouvelle ses attaques contre les droits des citoyens et des salariés de ce pays. Il prévoit même de faire d ?une pierre deux coups : en autorisant le fichage informatisé de tous les citoyens à grande échelle de l ?école élémentaire au lycée, il fournirait l ?outil de subordination rêvé par le capital pour étreindre le salariat à sa guise .