25 mars 2020

Les retraité-e-s

La santé n’est pas une marchandise, l’hôpital n’est pas une entreprise

L’intersyndicale des retraité-e-s de Seine-et-Marne (SFR-FSU, UCR-CGT, CFDT, FO et FGR-FP) a organisé le 29 février une conférence débat sur l’état de la santé en Seine-et-Marne avec Christophe Prudhomme, médecin urgentiste CGT. Une centaine de personnes était présente ce samedi après-midi-là à Vaux-le-Pénil. La vie studieuse avait repris une semaine après les vacances d’hiver et nous étions loin de penser que quinze jours plus tard nous serions en confinement. Cet état des lieux de la santé dans le 77 n’en est que plus prégnant hélas, car il illustre parfaitement les manquements de notre système de santé et leurs conséquences dans la grave crise sanitaire que nous traversons.

Colette Catteau (SRF-FSU) introduit le débat et remercie au nom de l’intersyndicale l’ensemble des personnes pour leur présence ainsi que Christophe Prudhomme qui a accepté de venir enrichir de son point de vue ce débat sur les questions de la santé qu’il connait bien en tant que porte-parole de l’association des médecins urgentistes de France (AMUF) et délégué CGT santé.
Elle rappelle que les retraité-e-s de l’Intersyndicale de Seine-et-Marne ont été de toutes les mobilisations récentes contre la réforme des retraites et que les retraité-e-s seront concerné-e-s par le volet financement de cette réforme.
Ce débat a été organisé à l’initiative de l’intersyndicale des retraité-e-s de Seine-et-Marne (CGT, FSU, FO, CFTC, FGR-FP) affiliée au Groupe des 9 (CGT, FO, CFTC, CFE CGC, FSU, Solidaires, FGR-FP, LSR, Ensemble et Solidaires).
Il est à noter la présence de Mme Sert, vice-présidente du Conseil Départemental et présidente du CDAPH qui interviendra dans le débat et celle de Mme Beaulnes -Séréni, directrice de la CPAM

Bernard Lioure (SFR-FSU) dresse un état des lieux de la santé en Seine-et-Marne

Il accompagne ses propos d’un diaporama téléchargeable ici.
Se soigner est une nécessité, un droit pour tous. Or cela devient de plus en plus difficile partout en France, mais en Seine-et-Marne plus qu’ailleurs encore. Plusieurs raisons à cela :

  • la désertification médicale ;
  • le coût des soins ;
  • l’éloignement des structures hospitalières.

Voici quelques chiffres (officiels, facilement consultables sur l’INSEE et la DREES) :
Tandis que le nombre de médecins en France a augmenté de 8 536 entre 2013 et 2016 (+3,92%), en Seine-et-Marne il a diminué de 88 (-2,86%) alors que le département compte 54 000 habitants de plus.
Alors qu’il y a, toutes spécialités confondues, public et privé réunis, 339,15 médecins pour 100 000 habitants en France, il n’y en a que 211 en Seine-et-Marne, ce qui classe notre département en 94e place sur 101.
Nombre de généralistes : en France, leur nombre a augmenté de 366 en 6 ans ; dans le 77, nous en avons perdu 121 dans le même temps, soit - 8%.
Même constat pour la pédiatrie, la santé mentale, les infirmières… Nous nous retrouvons souvent à la 97e ou la 98e place sur 101 et même avant dernier département devant Mayotte !
Pour les infirmièr.es hospitalièr.es, alors qu’il y en a 700 pour 100 000 habitants sur le territoire national, la Seine-et-Marne n’en compte que 423 (98e place sur 101 départements).
Concernant le nombre de médecins, le problème va s’accentuer avec le vieillissement des généralistes qui partent à la retraite. Ceux de notre département sont en moyenne plus âgés que sur l’ensemble de la France.
En France 44% de ceux qui restent ne prennent plus de nouveaux patients. Ils sont 86% dans le 77 à refuser d’être référents. C’est la disparition de la médecine préventive.
Le coût des soins
Selon un sondage CSA (2018) 1/3 des Français a renoncé à des soins durant l’année écoulée. Pour 55% c’est par impossibilité d’en assurer le coût (les dents, les yeux et l’audition sont les premiers renoncements).
Les dépassements d’honoraires explosent et les nouveaux médecins, surtout les spécialistes, sont en secteur 2.
En hospitalisation privée (on n’a parfois pas d’autre choix), même le minimum est payant ! Saint- Jean L’Ermitage à Melun, associée à l’hôpital, exige un forfait de 19 euros (en plus du forfait hospitalier) pour que les patients aient accès en chambre double à la penderie, à la salle de bain avec WC et à… l’air réfrigéré !
Les retards enregistrés par notre département ont des conséquences désastreuses
L’Observatoire régional de la Santé Sud 77 a relevé une surmortalité générale de tous les âges très supérieure aux moyennes de l’Île-de-France (+12,8 % chez les hommes et de +16,9 % chez les femmes) mais particulièrement sensible chez les jeunes (+82 % chez les 15 – 24 ans).
Même si ces mauvais chiffres sont certainement multi factoriels, les insuffisances en matière de santé portent à l’évidence une part de responsabilité.
En 12 ans les actions du département ont été inefficaces et n’ont pas freiné la régression. Dans les maisons de santé privées des cabinets restent vacants et sont occupés la plupart du temps par des professionnels libéraux en secteur 2.
Nos propositions à long terme :

  • Créer une faculté de médecine complète et un CHU en Seine-et-Marne

et à court terme :

  • Créer des centres de santé publics, pluridisciplinaires avec des médecins salariés et du personnel affecté. C’est essentiel pour les jeunes médecins qui ne veulent pas faire de « l’abattage » et alors que tous souhaitent travailler en équipe.
  • Stopper la destruction de l’hôpital public au profit des investisseurs et fonds de pension parfois américains.
  • Alléger les coûts : arrêter les dépassements d’honoraires.
  • Choisir le 100 % Sécu.
    Les médecins sont des employés de la Sécurité Sociale. La collectivité a payé leurs études.
    Il serait tout à fait normal qu’à la fin de leur formation, ils soient répartis là où la collectivité en a le plus besoin. On n’a jamais touché à la répartition.

Intervention de Catherine Petit (UCR CGT)

La CGT rappelle que les revendications des personnels de l’hôpital public, fortes depuis juin 2019 ne sont que la suite d’une grave crise qui date de plus de 10 ans. Les personnels refusent la mise en concurrence des établissements et de considérer que l’hôpital doit être rentable à l’instar d’une entreprise.
Après des mesures gouvernementales insuffisantes la mobilisation des personnels ne faiblit pas. Ils craignent l’instauration d’un système de santé à deux vitesses.

Intervention de Christophe Prudhomme

Christophe Prudhomme constate que la politique de santé actuelle suscite de nombreux débats et beaucoup de monde se sent concerné : le rapport de force avec le gouvernement et sa majorité s’appuie sur la mobilisation de la population.
Il se félicite du nombre de participants aujourd’hui.
Il n’est pas bon que le ministre de la Santé soit un médecin car la santé est un domaine qui concerne toute la population et non une catégorie professionnelle. Au-dessus de lui, il y a de toute façon toujours « Bercy ».
L’État laisse notre système de santé public se dégrader et organise la disparition de la Sécurité sociale au profit des assurances privées. C’est une médecine et un service hospitalier privé qui se met peu à peu en place, sur le modèle américain !

Notre système de santé n’est pas prêt pour le Covid 19 et autres épidémies majeures
450 lits ont été fermés et il manque 600 postes d’infirmières.
Le système tient par les heures supplémentaires.
Avec un pouvoir d’achat restreint les personnels travaillent plus pour compenser, ce qui est dangereux car ils sont fatigués.

Le signal d’alarme a été tiré depuis plusieurs années !
Mais les pouvoirs de droite et de gauche ont fait la sourde oreille. Au contraire, ils ont diminué les postes de médecins et infirmières.
Aucune politique pour empêcher la croissance des déserts médicaux.
On forme trop de spécialistes et pas assez de généralistes. Or, avec le vieillissement de la population, le nombre de maladies chroniques augmente, dont le suivi thérapeutique relève très souvent des généralistes. La formation est inadaptée : le recrutement se fait sur des concours basés sur des connaissances théoriques souvent déconnectées de la réalité. Elle est trop articulée autour de spécialités et de technicités. Elle ne prend pas assez le patient dans sa globalité.
De quel médecin a-t-on besoin ? Pas de l’éternel « 1er de la classe » qui ne pense pas à l’aspect social : Il faut soigner et comprendre.
Il faut que la coordination des soins s’appuie sur une bonne connaissance des patients que, seuls, les médecins généralistes possèdent et ils sont les seuls à pouvoir coordonner les soins.
8% des patients aux Urgences viennent pour des effets secondaires de traitements mal coordonnés. 40% des médicaments partent à la poubelle par peur des effets secondaires listés sur les notices. D’où la nécessité du travail collectif donc d’un autre système de soins.
Les réformes récentes ne respectent pas deux principes fondamentaux : la solidarité et le service public ! Ceci au profit des capitaux privés lucratifs. La part du secteur privé en France est l’une des plus élevée d’Europe dans le système de santé et surtout dans les EHPAD !

En Seine-et-Marne
Le 77 est le champion de France de la casse du service public : le GHT (groupement hospitalier de territoire) est une fusion juridique qui limite l’offre de soins aux patients.
Le 77 est le champion de la vente au privé où les investisseurs ayant leurs sièges sociaux au Luxembourg achètent des millions de murs de cliniques.
Le 77 est victime de l’abandon, depuis les années 1970, d’une politique d’aménagement du territoire qui était basée sur une planification pluriannuelle : le département manque d’équipements et souffre de leur mauvaise répartition alors que c’est un des départements qui connaît une des plus fortes croissances démographiques.
Les réformes doivent être assises sur l’aménagement du territoire : on a cédé la planification à l’Ordre des Médecins qui a refusé 4 CHU prévus dans les villes nouvelles d’Île-de-France. Nous sommes en Europe, le pays où le lucratif dépasse les 50% surtout en chirurgie.
Il faudrait aussi un maillage avec une activité mixte : le médecin salarié des centres de santé serait ainsi relié à l’hôpital avec même les généralistes qui coopèrent. Cela existe dans le département de Saône-et-Loire.

Quelles sont les solutions qu’il faudrait envisager ?
Organiser un meilleur maillage du territoire à partir des besoins de la population.
Il faut mettre un terme à la liberté d’installation des médecins.
Il faudrait mettre en réseau tous les établissements de santé.
Les jeunes médecins sont demandeurs d’une activité mixte cabinet- hôpital ou de travailler dans des centres de santé rattachés à l’hôpital. Ils demandent le développement d’une médecine salariée.
Pour les nouveaux arrivants en études de médecine, c’est l’État qui doit gérer leur affectation.
Aujourd’hui tout le monde médical est d’accord (même les professeurs) : l’hôpital n’est pas une marchandise ni une entreprise.

Comment financer ?
Par la Sécurité sociale intégrale. Le 100% annoncé par Macron va être payé par nos assurances complémentaires, celles que NOUS payons et dont les tarifs ont déjà augmenté.
Le système 100% Sécu existe déjà en Alsace – Moselle.

Conclusion
Il faut une réforme de rupture qui repose sur le vivre ensemble, qui mette en place une vraie politique d’aménagement du territoire pour la Santé, le développement d’un vrai service public qui s’appuie sur la Sécurité sociale et qui ne sert pas aux profits des assurances privées.

La parole est à la salle

Pour Mme Sert, vice-présidente du Conseil Départemental, le CHU est une nécessité.
Le CD a aidé à payer les études pour fidéliser les futurs médecins mais cela n’a pas vraiment marché. Il essaie avec les maisons des internes.
Création d’une école de kiné à Fontainebleau et d’une école d’infirmières à Samois, mais le CD ne peut qu’aider : en développant la télémédecine, en complétant les salaires des médecins salariés non couverts par la Sécu. Le CD a prévu un camion itinérant pour faire de la télémédecine.

Réponse de Christophe Prudhomme : ce ne sont que des « sparadraps ». La dégradation continue. Les élus doivent se regrouper en disant que cela ne va pas et réclamer leurs droits. Ils ne peuvent pas se substituer à la carence de l’État qui se désengage.
La PMI est de la responsabilité du Conseil Départemental. Un bus de PMI serait plus utile.

Autres interventions
Le GHT de Jossigny, Jouarre, Coulommiers, Meaux est une aberration avec l’éclatement des soins.
La prévision d’un Roissy 4 avec 250 000 travailleurs alors que les hôpitaux sont pleins peut inquiéter.
La médecine du Travail et la médecine de Prévention sont sinistrées.
La Carte Vitale ne doit pas être une carte de crédit : tout est payant à l’hôpital même le parking des urgences.
On balade les gens d’un centre de soins à un autre. Exemple : la radiothérapie et la chimiothérapie ne sont pas au même endroit et quand on connaît le problème des transports, cela inquiète.
Cherté de certaines formations médicales privées qui endettent les étudiants comme aux USA.
Le comité de défense de l’hôpital de Melun réclame la déprivatisation de l’hôpital de Melun.
Les gens pensent que les centres de santé sont pour les pauvres. (Combien ont connu les anciens dispensaires ?).
Le problème de la santé étant une préoccupation majeure, il faut en parler dans les réunions pour les municipales.

Intervention de Jean-Louis Crozemarie (FGR-FP) : Actions
Il faut donner une suite à cette réunion.
Une pétition est à signer : c’est un outil pour demander des audiences auprès du préfet, du CD, de l’ARS.
On se donne rendez-vous dans un an pour faire un point sur la santé : réalisations et autres aspects.
S’informer sur la loi Grand âge.
Autres inquiétudes : la santé mentale, les EHPAD : reste à charge, manque de personnel, formation.

Il faut parler autour de nous de cette réunion et se donner rendez-vous dans un an.