24 mars 2019

Les retraité-e-s

La perte d’autonomie et sa prise en charge

La France compte aujourd’hui 1,5 million de personnes de 85 ans et plus. A l’horizon 2050, elles seront 4,8 millions. En 2016, près de 7 500 Ehpad, nouvelle appellation des maisons de retraite, accueillaient plus de 600 000 personnes âgées, et près de 760 000 personnes âgées en perte d’autonomie bénéficiaient des prestations d’un service d’aide à domicile. Ces quelques chiffres donnent la mesure des enjeux du secteur et du défi que représente le vieillissement de la population pour notre société. Ils soulignent avec acuité le besoin de bâtir une politique publique de la prise en charge des personnes âgées.

La perte d’autonomie se définit comme l’incapacité, pour une personne, de décider et d’assurer seule certains actes de la vie courante. Liée en partie au processus naturel de vieillissement, elle est due à des altérations aussi bien physiques que psychiques dont certains signes sont révélateurs comme des troubles de l’équilibre, des changements dans les habitudes alimentaires, une diminution de l’hygiène, des problèmes de mémoire, une altération de l’humeur, un isolement social. A plus ou moins long terme, ces troubles constitueront des signes d’alerte pour l’entourage qui sera amené à prendre en charge la personne.
Commence alors pour ceux que l’on appelle « les aidants » la découverte d’un monde où au choc du renversement des valeurs - le parent devient dépendant de l’enfant - s’ajoutent maints problèmes matériels et tracasseries administratives. Voici, entre autres, deux dispositions incontournables :
Le GIR, groupe iso-ressource, correspond au niveau de perte d’autonomie d’une personne âgée. La perte d’autonomie va croissante du GIR 6 au GIR 1. L’évaluation du GIR permet de savoir si une personne âgée peut bénéficier de l’APA.
L’APA, allocation personnalisée d’autonomie, est versée par le conseil départemental. C’est une allocation destinée aux personnes âgées de 60 ans et plus qui ont besoin d’aide pour accomplir les actes essentiels de la vie quotidienne, se lever, se laver, s’habiller, ou dont l’état nécessite une surveillance régulière. L’APA à domicile aide à payer les dépenses nécessaires pour rester vivre à domicile malgré la perte d’autonomie. En Ehpad, elle permet de payer une partie du tarif dépendance. Seuls les GIR 1 à 4 permettent de bénéficier de l’APA. Contrairement à l’ASPA (allocation de solidarité pour les personnes âgées -ce qui remplace le minimum vieillesse- l’APA ne fait l’objet d’aucune récupération des sommes reçues ni du vivant ni au décès de son bénéficiaire. Le département ne peut donc pas demander le remboursement des sommes versées au bénéficiaire si sa situation financière s’améliore de son vivant, ni les récupérer sur sa succession à son décès.
En 2014, plus d’1,2 million de personnes âgées ont bénéficié de l’APA : 722 000 personnes à domicile, 511 000 personnes en établissement.
Les départements ont versé au total 5,6 milliards d’euros en 2014 aux personnes âgées bénéficiaires de l’APA : 3,3 milliards d’euros pour les bénéficiaires à domicile ; 2,3 milliards d’euros pour les bénéficiaires en établissement.
Le nombre de personnes en perte d’autonomie devrait doubler en 2060 pour toucher 2,6 millions de personnes âgées.

La prise en charge de la perte d’autonomie
C’est d’abord à l’entourage, parent plus ou moins proche, ami, qu’incombe la responsabilité de s’occuper de la personne en perte d’autonomie. Il devient l’aidant défini selon l’article 51 de la loi du 28 décembre 2015 comme la « personne qui vient en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne ». Combien sont-ils actuellement ? Les statistiques sont controversées : de 8,3 millions d’aidants informels, l’unique chiffre officiel, dont 4,3 millions aidant régulièrement un proche de 60 ans ou plus, à domicile, à 11 millions d’aidants familiaux, soit 1 français sur 6, accompagnant au quotidien un proche en situation de dépendance, en raison de son âge, d’une maladie ou d’un handicap.
La contribution des proches aidants représente pour la société 11 milliards d’euros par an d’économies ! Pour 86 % des Français, le statut d’aidant reste encore trop peu valorisé. De plus, victimes de cet enjeu de santé public, 31 % des aidants affirment avoir tendance à délaisser leur propre santé.
Quand l’état de la personne se dégrade, quand l’aidant ne peut plus faire face, arrive alors le moment fatidique du « placement » en Ehpad.

Les Ehpad
Ces établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes sont des maisons de retraite médicalisées qui proposent un accueil en chambre. Ils concernent les personnes âgées de plus de 60 ans qui ont besoin d’aide et de soins au quotidien.
Y a-t-il assez d’Ehpad pour répondre à la demande ?
Malgré une offre importante de lits, le nombre de places disponibles en Ehpad est aujourd’hui limité. D’après l’UFC- Que choisir, le délai d’attente avoisine les 8 mois en moyenne pour les Ehpad publics. Les Ehpad privés ont des délais d’attente beaucoup moins longs mais sont souvent beaucoup plus chers. La croissance démographique qui induit une population de plus en plus âgée ne fait qu’augmenter la demande depuis des années. Ainsi, pour conserver la moyenne actuelle de 10 lits pour 100 personnes de plus de 75 ans, il faudrait doubler le nombre de lits d’ici à 2040. C’est un écart qui se creuse un peu plus chaque jour : en 2012, 5 000 places ont été créées alors que la demande était de 10 000.
Le personnel et les difficultés de recrutement dans les Ehpad
D’après l’enquête Ehpad de la DREES, les Ehpad employaient, toutes professions confondues, 62,8 personnes en équivalent temps plein pour 100 places au 31 décembre 2015. Lorsqu’il se limite au personnel soignant (aides-soignants, infirmiers principalement), ce taux d’encadrement varie de 22,8 postes par tranche de 100 places pour les structures privées à but lucratif à 36,7 pour les structures publiques hospitalières.
Le renouvellement du personnel est fréquent dans les Ehpad, 15% du personnel ayant moins d’un an d’ancienneté. Il s’avère difficile à gérer pour une partie de ces établissements puisque 44% déclarent rencontrer des difficultés de recrutement, entraînant dans 63% d’entre eux, la présence de postes non pourvus depuis plus de six mois. C’est particulièrement le cas dans les Ehpad du secteur privé, dont la moitié se heurtent à des difficultés de recrutement. Celles-ci concernent surtout les aides-soignants, pour lesquels 16% de ces établissements ont des postes non pourvus.
La situation géographique de l’établissement contribue également à la survenue de difficultés de recrutement. Près de la moitié des Ehpad implantés dans des communes isolées rencontrent ainsi des difficultés de recrutement, et 15% ont des postes de médecins coordonnateurs non pourvus.

Qui finance les aides aux personnes âgées en perte d’autonomie ?
Les pouvoirs publics ont dépensé 20,8 milliards d’euros en 2014 pour financer les aides à l’autonomie des personnes âgées soit 1% des richesses produites (PIB).
Les principaux organismes qui financent les aides en direction des personnes âgées sont :

  • la sécurité sociale, notamment la CNAV, caisse nationale d’assurance vieillesse, pour l’action sociale en faveur des personnes âgées et l’assurance maladie pour les dépenses des USLD, unités de soins de longue durée ;
  • les départements pour l’APA et l’aide sociale à l’hébergement ;
  • la CNSA, caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, principalement pour le fonctionnement des établissements et services pour les personnes âgées ainsi que pour la couverture d’une partie des dépenses d’APA.Elle est abondée par la journée de solidarité pour les actifs et par la CASA de 0,3% pour les retraités.
  • l’Etat.
    Les financements sont répartis de la façon suivante : Sécurité sociale (11 %, 2 224 M€), Départements (net transferts CNSA) (29 %, 6 066 M€), État (5 %, 1 114 M€), CNSA (55 %, 11 428 M€). (Source : loi de financement de la Sécurité sociale 2016.)

Des propositions pour améliorer la situation
Ces propositions, issues la grande consultation citoyenne sur la prise en charge de la perte d’autonomie lancée par le ministère des Solidarités et de la Santé en octobre 2018 viendront alimenter le rapport remis au gouvernement au 1er trimestre 2019 dans la perspective d’une proposition de réforme devant déboucher sur un projet de loi.

  • Mieux accompagner les aidants en leur proposant des avantages fiscaux, des aides à l’aménagement des logements, une meilleure information et formation, une reconnaissance statutaire.
  • Renforcer le maintien à domicile par adaptation des logements, un équipement en solutions innovantes, le développement d’une vraie offre de services à domicile.
  • Améliorer la qualité et l’accueil des personnes âgées en établissement par l’augmentation du nombre de personnels soignants, des unités à taille humaine, un dispositif d’écoute renforcé, des services diversifiés, un meilleur contrôle de l’Etat, notamment sur l’usage de l’argent public.
  • Développer des lieux de vie alternatifs ou intergénérationnels innovants comme des Ehpad hors les murs, des plateformes de services, des habitats intergénérationnels.
  • Réduire le coût de la prise en charge de la perte d’autonomie en établissement et à domicile
    par une plus forte intervention de l’Etat, une meilleure régulation des prix, des avantages fiscaux.
  • Renforcer l’accès à la santé pour les personnes âgées grâce à une meilleure présence des professionnels directement au domicile, une adaptation du système hospitalier, des outils de contrôle et de prévention de la santé.

Les pistes évoquées par le gouvernement pour le financement

  • la création d’une nouvelle journée de solidarité pour les actifs (ce qui impliquerait le doublement de la CASA pour les retraité-e-s) ;
  • le recours à une assurance complémentaire de la solidarité nationale ;
  • le recours sur la succession ;
  • le recours à l’épargne ;
  • l’utilisation de la Cades, Caisse d’amortissement de la dette sociale.

La mutualité préconise une assurance dépendance obligatoire.
Quant au Groupe des 9, il revendique un financement de la perte d’autonomie à 100% par la Sécurité sociale.
Au Haut Conseil de l’Age, la FSU a revendiqué des personnels mieux formés, formation initiale et continue, mieux rémunérés avec des compétences reconnues par des diplômes qualifiant dans le cadre de conventions collectives pour le privé et de la Fonction Publique Territoriale pour le public.

Pour ne pas conclure
Posons-nous les bonnes questions :
Quelle place dans la société pour 25 à 30% de citoyens en retraite ?
Quelle répartition des richesses produites ?
Vieillir en bonne santé : une charge pour la société ou un formidable progrès social ?
Vue sous cet angle, la prise en charge de la perte d’autonomie n’est pas un problème de coût mais de choix politique pour l’avenir à opérer dès aujourd’hui. Au SNES-FSU dans le cadre du groupe des 9 nous revendiquons la création d’un grand service public de l’aide à l’autonomie, compétent pour l’aide à domicile et les établissements, financé à 100% par la Sécurité sociale.

Jean-Bernard SHAKI