1. Sous de multiples sigles et acronymes, ce projet recouvre une même réalité, avec des objectifs constants :
Il a été connu d’abord sous l’acronyme TAFTA (Transatlantic Free Trade Agreement), en français ACT (Accord Commercial Transatlantique), auquel certains analystes et journalistes francophones ont préféré GMT (Grand Marché Transatlantique), en référence au projet lancé en 1995 lors du sommet transatlantique de Madrid. Par suite du rejet en 2012 par le Parlement européen d’un précédent traité nommé ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement, ou en français ACAC, Accord Commercial Anti-Contrefaçon), dont le nom lui ressemblait trop, il a été officiellement rebaptisé par ses partisans TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership, ou en français PTCI, Partenariat Transatlantique sur le Commerce et l’Investissement). Par contre, ses adversaires ayant mené la lutte sous l’étendard STOP TAFTA ont décidé de continuer à utiliser son nom original.
En tout état de cause, quelle que soit l’appellation adoptée, il s’agit d’un accord de partenariat transatlantique (APT), présenté officiellement comme un simple accord commercial visant à établir une zone de libre-échange entre les USA et l’Union Européenne, créant ainsi un gigantesque marché de plus de 800 millions de consommateurs. Son but déclaré est de supprimer les barrières commerciales dans de larges secteurs de l’économie pour faciliter l’achat et la vente de biens et de services entre l’UE et les USA. Ce faisant, le TTIP favoriserait la croissance et la création d’emplois. Il faut savoir que les négociations sont déjà très avancées puisque les ?tats européens ont depuis le 14 juin 2013 mandaté la Commission Européenne pour négocier avec les USA ; celles-ci devraient aboutir en 2015, pour être suivies d’un long processus de ratifications au Conseil et au Parlement européens, puis au niveau des Parlements nationaux.
2. Pour mieux cerner ce projet, il est indispensable de le replacer dans le vaste réseau d’accords anciens et de négociations en cours qui s’échelonnent, principalement mais non exclusivement à l’initiative des ?tats-Unis, depuis le début des années 90 dans plusieurs régions du monde : le NAFTA (North American Free Trade Agreement) ou ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) entre les USA, le Canada et le Mexique en janvier 1994 ; le CAFTA (Central America Free Trade Agreement) ou ALEAC (Accord de libre-échange d’Amérique centrale) signé et adopté en 2004/2005 ; le TPP (Trans-Pacific Partnership) ou Partenariat Trans-Pacifique, considéré comme précurseur du TTIP, en voie de négociation et visant à intégrer les économies de 11 pays dans la région Asie-Pacifique. Le 18 octobre 2013, un accord du même type a été signé entre le Canada et l’UE, le CETA (Comprehensive and Economic Trade Agreement) ou AECG (Accord Economique et Commercial Global) qui doit encore être approuvé par les 10 provinces canadiennes et les 28 ?tats européens. Actuellement a été révélé au grand jour le TISA (Trade in Services Agreement ou Accord sur le Commerce des Services), initié par les ?tats-Unis et l’Australie après l’impasse des négociations du cycle de Doha, puis proposé à un groupe de membres de l’OMC qualifiés de « really good friends », en tout 50 participants (dont les 28 pays de l’UE) représentant 70% du commerce mondial des services, qui se réunissent régulièrement à Genève depuis février 2012 ; il s’agit d’une « stratégie de contournement », visant à poursuivre la libéralisation des services engagée par l’Accord général sur le commerce des services (GATS en anglais) en 1995, en ouvrant de nouveaux secteurs à la concurrence.
3. En ce qui concerne le TAFTA, les deux caractéristiques les plus notables des négociations actuellement en cours, reconnues et dénoncées par de nombreux organismes de la société civile, par des partis politiques et des syndicats, sont leur manque de transparence ainsi que le rôle majeur joué par les groupes de lobbying ou lobbyistes. Les négociations se déroulent derrière porte close entre des fonctionnaires de la Commission européenne et leurs homologues du ministère du commerce des ?tats-Unis, soumis à d’importantes pressions de lobbys représentant pour la plupart les intérêts du secteur privé. Un des principaux objectifs est de donner des outils juridiques aux investisseurs pour casser tout obstacle réglementaire ou législatif au libre-échange. En particulier, les firmes étrangères auraient le pouvoir d’attaquer la politique des ?tats, aussi bien que des régions, des départements, des communes, etc, en matière de santé, de finance, d’environnement et de service public, si celle-ci représente un obstacle à la concurrence, à l’accès aux marchés publics et à l’investissement. Un arbitrage ou système de règlement des différends prévoit d’accorder aux entreprises la possibilité d’attaquer un Etat devant un tribunal arbitral privé, composé de trois juges privés qui seraient autorisés à ordonner des compensations pour des décisions ou des actions gouvernementales vues comme s’attaquant aux futurs profits des multinationales, autrement dit la mise en place d’une justice qui court-circuiterait les ?tats. Cette menace trouve une assise dans l’existence de milliers de sociétés déjà établies aux ?tats-Unis et dans l’UE qui pourraient s’attaquer aux politiques d’intérêt public : plus de 3300 firmes basées en Europe ont des liens aux USA par le biais de 24 200 filiales, et 14 400 firmes basées aux USA possèdent plus de 50 800 filiales en Europe. TAFTA permettrait des attaques globales et croisées de la part de ces 75 000 sociétés à l’encontre des politiques d’intérêt public.
4. Des deux côtés de l’Atlantique, les inquiétudes suscitées par la révélation du contenu de cet accord, qualifié par Serge Halimi* de « piège transatlantique », ont déjà entraîné la mobilisation de syndicats et d’associations et fait l’objet de nombreuses manifestations qui appellent à mieux informer les peuples concernés. En 1998, la divulgation des dispositions de l’Accord multilatéral sur l’Investissement (AMI), qui entendait garantir une liberté et une sécurité absolues au capital transnational en empêchant les gouvernements de prendre la moindre mesure qui puisse porter atteinte à ses intérêts, avait entraîné un vaste mouvement de protestation suivi de son rejet. Cette victoire de la « stratégie de Dracula », où le vampire perd son pouvoir et meurt quand il est placé en pleine lumière, nous invite à briser le secret des négociations du TAFTA, à dénoncer les conséquences dangereuses de son adoption pour les citoyens et à impulser par tous les moyens les mouvements de protestations et les luttes pour son abandon.
Dans l’immédiat, la FSU appelle à signer la pétition en ligne du collectif « STOP Tafta » www.collectifstoptafta.org, à s’investir dans les comités locaux qui se mettent en place et à participer à la journée européenne d’action contre le TAFTA le 11 octobre : rendez-vous à 14 heures 30, place de la Bataille-de-Stalingrad 75019 Paris.
* Cf. en particulier Le Monde Diplomatique, juin 2014, dossier « Grand Marché Transatlantique », p.11-18. Ainsi que : Lori Wallach : « Le traité transatlantique, un typhon qui menace les Européens », Le Monde Diplomatique, novembre 2013, p. 4-5.
Nicole Medjigbodo