17 janvier 2021

Les retraité-e-s

Démasquer l’âgisme

On qualifie d’âgisme toutes les formes de discrimination, de ségrégation, de mépris fondées sur l’âge. Le Larousse indique qu’il s’agit d’une discrimination à l’égard des personnes âgées. L’Observatoire de l’âgisme créé en 2008 considère que cette définition est multiple et qu’il faudrait l’enrichir. Si le terme "âgisme", lors de sa création en 1969, aux États-Unis, par le gérontologue Robert Butler, faisait surtout référence aux discriminations touchant les personnes âgées, celui-ci concerne aujourd’hui tous les âges :

  • dans le domaine de l’emploi : les trentenaires jugés "trop jeunes", les quadragénaire jugés "trop vieux" !
  • dans l’accès à certaines aides, les jeunes de moins de 25 ans ne pouvant bénéficier du RSA, une personne handicapée de plus de 60 ans disposant de moins d’aides qu’une personne handicapée de moins de 60 ans ;
  • dans l’accès à certains soins : temps d’attente aux urgences beaucoup plus long pour les personnes très âgées ; certains services hospitaliers refusant des personnes malades à cause de leur âge, et la crise sanitaire permet hélas de donner d’autres exemples.
    Car, restreindre l’âgisme aux personnes âgées participe à une forme de séparation entre les générations et peut favoriser l’âgisme. La lutte contre l’âgisme ne donnera des résultats que si s’exprime la solidarité intergénérationnelle.
    Cela dit, dans cette fiche, nous nous intéresserons à l’expression de l’âgisme en direction des personnes les plus âgées de la société.

Le processus à l’œuvre

Comme l’indique Jérôme Pélissier(1), le processus à l’œuvre dans l’âgisme ressemble à celui du racisme et se manifeste par différents points communs :

  • la différenciation : on focalise l’attention sur une seule caractéristique, ici l’âge ;
  • la réduction de l’individu à cette caractéristique : « un jeune », « un vieux » ;
  • l’uniformisation : création d’une catégorie dont le seul point commun est l’âge en dehors de toute appartenance à une catégorie sociale et à laquelle on va prêter des caractéristiques communes, par ex. les personnes âgées sont… , les jeunes sont…
    Cela conduit à la stigmatisation à partir de stéréotypes qui peuvent être aussi bien positifs que négatifs.

Stéréotypes et leurs manifestations

Ils façonnent la personne qui y adhère mais modifient aussi le comportement de la personne victime de ces stéréotypes. Différentes études notamment chez les professionnels de santé le démontrent. Quand ils s’adressent à une personne âgée en parlant plus fort, lentement, avec des phrases courtes et des répétitions, cela conduit la personne à moins s’exprimer ou à moins poser de questions.
Le rôle des médias est essentiel dans les manifestations de l’âgisme qui présentent les « seniors » comme des images de publicité pour croisière de luxe ou des personnes âgées victimes de la maladie d’Alzheimer.

  • La cohabitation de trois ou quatre générations et l’augmentation de l’espérance de vie serait une catastrophe

Cette réalité démographique est décrite sous forme négative. Les termes utilisés sont évocateurs tels que la « marée grise », « le tsunami démographique ». On serait envahi par les personnes âgées. Cela relèvent d’une vision utilitariste et économiste où tous ceux qui ne sont pas productifs et rentables pèsent sur les autres.
Certaines déclarations de politiques en témoignent : ainsi Michèle Delaunay(2) a déclaré « Il faut lutter contre le fléau du vieillissement de la population ». Déjà Alfred Sauvy(3) écrivait : « Un organisme qui vieillit, c’est un organisme qui se laisse envahir par des cellules inutiles ».

Les chiffres : en 2050 la population française se répartira en 3 tiers : environ autant de 0/35 ans que de 35/70 ans que de 70 ans et plus. Les personnes de plus de 85 ans représenteront 5 à 10 % de la population, autant que les plus de 65 ans au début du XXe siècle !

C’est aussi le cas d’économistes et de responsables politiques qui mélangent dans leurs déclarations « vieillissement du corps, du pays, de l’esprit » auquel s’ajoute depuis la crise la responsabilité des vieux dans les malheurs des jeunes (cf. « OK boomer ! »)

  • Tous les seniors seraient riches, réactionnaires, égoïstes et passifs

Ces discours sont fréquents dans les médias français comme François de Witt, chroniqueur à France Info en 2009 : « Les baby-boomers et les séniors (…) ont accumulé plus d’argent qu’ils ne pourront en dépenser jusqu’à la fin de leurs jours (…) ».

Des chiffres à rappeler : l 100 000 retraités pauvres en 2019 ; la retraite moyenne : 1 382 euros dont 1 093 euros pour les femmes, 50 % des femmes retraitées perçoivent moins de 1 000 euros. Le patrimoine qui serait l’apanage des retraités est à 80 % détenu par 20 % d’entre eux.
Concernant l’oisiveté des retraités, rappelons que les retraités constituent les principaux acteurs d’entraides et d’aides au sein de la famille, militants et bénévoles dans les syndicats et au sein des associations : 36 % des plus de 65 ans sont bénévoles dans une association alors que la moyenne de dans la population est de 24,6 %.
  • La cupidité, le conservatisme voire le racisme leur sont attribués ainsi que le choix de l’extrême droite aux élections (4)

Lilian Thuram, dont on partage la lutte contre le racisme, dans une interview en 2019 déclarait au sujet de difficultés de lutte contre le racisme : « Beaucoup sont crispés lorsqu’on amène un nouveau concept et un nouveau regard sur la société. Mais je reste persuadé que les jeunes générations vont changer les choses. Et malheureusement, dans l’espace public, on entend encore trop souvent les personnes âgées. ». Il fait avec « les personnes âgées » ce qu’il dénonce par ailleurs : prendre un seul critère et y associer… ici, le soupçon du racisme. On voit bien que ces préjugés sont tellement ancrés dans la société que même les plus progressistes y succombent.

Conséquences de ces stéréotypes

Martin Hirsch, actuel directeur de l’AP-HP, président de l’Agence du Service Civique en 2010, proposait de revenir au suffrage censitaire en donnant deux voix aux jeunes quand les vieux n’en auraient qu’une.
Dans le même ordre d’idée, notre mutuelle historique la MGEN ne permet pas aux adhérent-e-s de plus de 65 ans d’être élu-e-s dans ses instances alors qu’elle n’oublie pas d’augmenter les tarifs pour les plus de 70 ans.
Ces stéréotypes créent l’illusion de l’unité d’une catégorie de la population « les vieux », de la même façon qu’on parle des jeunes. Comme on considère qu’ils cumulent tous les avantages
(génération des Trente Glorieuses), on s’autorise à les maltraiter socialement et économiquement (réforme des retraites, ponction sur les retraites...). Ou bien les retraité-e-s tout-e s assimilé-e-s à des personnes âgées malades sont vu-e-s comme des charges, des fardeaux, des poids économiques qu’il faut protéger.

Des chiffres : les plus de 60 ans sont plus de 17 millions. Les personnes dépendantes étaient 1 300 000 en 2019 et seront 2 millions en 2040.

Faut-il rappeler au sujet de la dépendance que celle-ci n’est pas forcément liée à l’âge mais toujours à la maladie ou à l’accident. Ce qui justifie notre revendication de la prise en charge de la dépendance par la branche maladie de la Sécurité Sociale.

Le philosophe Comte-Sponville dans le sillon de C. Barbier déclarait au sujet du coût de la pandémie : « Cent milliards d’euros, disait le Ministre des Finances mais il le dit lui-même, "c’est plus de dettes pour soigner plus de gens, pour sauver plus de vie". Très bien. Mais les vies qu’on sauve, ce sont essentiellement des vies de gens qui ont plus de 65 ans. Nos dettes, ce sont nos enfants qui vont les payer ».
Du point de vue de la prise en charge de la santé, les mesures âgistes se multiplient : la taxe sur les médicaments (5), l’augmentation de la cotisation pour les mutuelles à partir de 70 ans et évidemment l’accès aux aides sociales entre une personne handicapée de moins de 60 ans et de plus 60 ans(6) .

Et quand on tient un discours bienveillant sur les personnes âgées, c’est pour les infantiliser ou les mépriser

Là encore les exemples sont nombreux :
Jean Castex demande aux papys et mamies de ne pas aller chercher leurs petits-enfants à la sortie de l’école.
Le professeur Salomon propose aux grands-parents de manger le gâteau à la cuisine pour Noël.
Dans plusieurs départements ont été éditées des affiches co-signées par L’État, la police, le département sur le risque de vols par ruse où une petite fille dit à son grand–père « Papy, n’ouvre pas aux inconnus ».
La publicité regorge d’exemples. La dernière en date est celle GO Sport.
Dernier exemple, une campagne de la ville de la Roche-sur-Yon déclarée « ville amie des ainé-e-s » qui, pour lutter contre l’âgisme, véhicule des stéréotypes âgistes.

Conclusion
Comme le dit Jérôme Pélissier ,(..) le critère de l’âge, comme l’expression « vieillissement de la population » derrière sa neutralité apparente, ont des usages politiques. Le premier permet de créer des catégories de la population qui n’auront pas les mêmes droits tandis que la seconde cache une peur de la vieillesse et une approche économiciste. Les clichés erronés et l’illusion d’unité qui en découlent masquent les clivages de classes et légitiment la maltraitance sociale et économique des vieux.

1- Jérome Pélissier- Vice-Président et Secrétaire de l’Observatoire contre l’âgisme, écrivain, Docteur en Psychologie
2—Ancienne ministre de François Hollande, déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie et ex-députée PS de Gironde.
3-Economiste, démographe et sociologue français, mort en 1990, dénonciateur des phénomènes de dénatalité et de vieillissement.
4- Or c’est la catégorie d’âge qui vote le moins pour l’extrême droite (cf. élections présidentielles de 2017).
5- « Honoraires de dispensation lié à l’âge ». Elle ne s’applique qu’aux ordonnances délivrées aux personnes de plus de 70 ans et aux enfants de moins de 3 ans. Elle est 1,58 euros.
6— Le conseil d’État a donné 4 mois au gouvernement pour revenir sur cette loi de 2005. Mais le problème reste entier avec le projet de 5e Branche qui différencie personnes handicapées et personnes âgées.