5 décembre 2021

Les retraité-e-s

La dette

A la suite de l’intervention de Dominique PLIHON*, chercheur au CNRS et membre d’ATTAC, au stage national des retraité-e-s le 4 octobre, notre collègue Jean-Bernard SHAKI fait le point sur la dette.
Cet article que vous retrouverez ci-dessous a été publié dans la circulaire n°3 des retraité-e-s de l’académie de Créteil dont voici le sommaire :

Circulaire n°3- 2020-2021 – lundi 15 novembre 2021

Edito : Débattre et se mobiliser encore et toujours ! – Martine Stemper pour le collectif des retraité-e-s du SNES-FSU de l’académie de Créteil

Calendrier :
La manifestation nationale des retraité-e-s du jeudi 2 décembre 2021
Les congrès départementaux de la FSU

Les articles :
La dette - Jean-Bernard Shaki
Défendre l’hôpital public en Ile-de-France- Danièle Clayette et Dominique Balbucci
AG des retraité-e-s de Créteil ; le plaisir d’être réuni-e-s ! Dominique Balducci

*Chercheur associé à la Chaire Energie et Prospérité de l’Institut Louis Bachelier, membre du Centre d’Economie de Paris-Nord (CEPN/CNRS), professeur émérite à Paris XIII, membre d’ATTAC.

LA DETTE

La dette est mise au cœur du débat public par les libéraux qui tentent de l’agiter comme un chiffon rouge pour faire peur et justifier les politiques d’austérité. Selon eux, le poids de la dette publique la rendrait risquée et moins soutenable.

Dette sur PIB, un ratio sacralisé sans fondement

Le ratio dette/PIB est constamment mis en avant, d’autant plus qu’avec la crise du Covid il est passé de 98% à environ 120% ce qui permet aux libéraux de continuer à nourrir les peurs à propos de cette dette. Pourtant, cet indicateur repris sans cesse dans les médias est discutable à plusieurs égards.
La dette publique est un stock accumulé depuis 1975 (2 739 milliards d’euros au premier trimestre 2021) au contraire du PIB, produit intérieur brut (environ 2 400 milliards d’euros) qui est un flux annuel. En effet, le PIB est la somme des valeurs ajoutées produites sur un territoire et pour un an. De ce point de vue, il est donc discutable de comparer un stock à un flux. Cela revient à comparer les revenus d’un ménage à son endettement total. De toute évidence ce n’est pas comme cela que les banques étudient la capacité de remboursement d’un ménage puisqu’elles comparent les revenus du ménage à la mensualité du prêt que le ménage devra assumer.

D’autre part, il faut bien comprendre que l’État est un agent économique très particulier

Tout d’abord, il n’a pas d’horizon temporel fini. Il pourra donc toujours emprunter pour se refinancer. Deuxièmement, contrairement aux ménages, l’État est en capacité de décider, au moins en partie, du niveau de ses revenus, et donc de sa capacité de remboursement, via les règles fiscales qu’il met en place.

Pas de panique, la France n’est pas en faillite !

En 2019, les 36 milliards d’euros d’intérêts payés par les administrations publiques représentaient 1,5% du PIB. Si l’on rapporte ce coût au montant des dépenses publiques, ce qui parait plus pertinent, on peut dire que moins de 3% des dépenses publiques sont consacrées au paiement des intérêts de la dette. On est donc loin de l’étau de la dette constamment décrié dans les médias…

Origine de la dette ?

On distingue deux causes principales à la hausse de la dette publique : les cadeaux fiscaux depuis 1980 (CICE, ISF, niches fiscales, crédit impôt recherche) qui profitent d’abord aux actionnaires des grands groupes et l’évasion fiscale type Panama ou Pandera papers qui prive les finances publiques de près de 100 milliards d’euros par an.

La dette un fardeau pour les générations futures !

Un des arguments les plus souvent répétés par les libéraux serait que nous allons laisser une dette publique qui sera un fardeau pour les générations futures.
Tout d’abord, on peut regretter qu’ils se préoccupent moins des générations futures (et mêmes présentes) lorsqu’il s’agit de parler d’environnement et de crise climatique. Mais même si l’on se doute que l’inquiétude pour les générations futures n’est qu’un prétexte à l’austérité, nous allons voir que c’est un argument qui ne tient pas.

Les administrations publiques ont certes, des dettes mais aussi un patrimoine

Comparer ce que possèdent les administrations publiques par rapport à ce qu’elles doivent fait partie de ces indicateurs alternatifs.
Dans le bilan d’une entreprise, il y a des actifs en face de son passif. Il en va de même pour les administrations publiques.
L’État ainsi que les autres administrations publiques (collectivités territoriales et administrations de Sécurité sociale) ont un patrimoine considérable, évalué à 3 668 milliards d’euros en 2018.
Rappelons-nous par exemple le Fonds de réserve pour les retraites qui s’élève à plus de 30 milliards. Il s’agit là d’un élément du patrimoine des administrations publiques. Au-delà de cet exemple, ce patrimoine se matérialise par des bâtiments (1 100 milliards), du foncier (922 milliards), des actions d’entreprises (665 milliards) ou encore des droits de propriété intellectuelle (100 milliards). Cette liste n’est évidemment pas exhaustive mais permet de mieux saisir l’ampleur et la forme que prend le patrimoine des administrations publiques bien moins mis en avant que ses dettes.
Au bilan, si on compare ce que les administrations publiques possèdent par rapport à ce qu’elles doivent, le solde est largement positif : de 327,7 milliards d’euros pour 2018 soit plus de 4 500 euros de patrimoine net par Français.

La dépense publique doit servir à l’investissement

Comme souvent, on ne peut se limiter à une approche quantitative pour saisir tous les enjeux autour de cette question. En effet, tous les déficits publics ne se valent pas.
Concernant l’État, si son déficit s’explique par une politique d’investissement massif dans l’éducation, cela va se traduire par une montée en qualification de la population. In fine cela peut entraîner une baisse du chômage, une augmentation des salaires et donc à la fois des dépenses en moins pour les finances publiques mais également des recettes publiques supplémentaires. On voit donc que ce déficit s’autofinance en quelque sorte.
De la même façon, si l’État investit dans le transport ferroviaire par exemple, il va faciliter les déplacements, réduire les gaz à effet de serre, limiter la pollution et donc permettre une meilleure santé pour les travailleurs et une productivité accrue qui pourra faire baisser le chômage et augmenter les salaires.
Dans ces deux exemples, on voit bien que le fruit de ces investissements pourra être transmis aux générations futures de manière immatérielle (capital culturel) et matérielle (meilleur réseau ferroviaire). Ainsi chaque génération profite de l’accumulation des connaissances et des investissements des générations précédentes.
Enfin, parler de fardeau pour les générations futures pourrait s’entendre si ces générations futures devaient rembourser la dette, ce qui n’est le cas comme nous allons le voir.

Un conflit de classe plutôt que générationnel

La dette a une maturité, autrement dit une durée de vie moyenne, d’un peu plus de huit ans. Si ça devait être un fardeau, ça le serait donc pour les générations actuelles. Cependant la dette n’est jamais remboursée en tant que telle. Les échéances d’emprunt sont bien honorées et les prêteurs sont remboursés, mais pour cela l’État réemprunte. On dit qu’il fait rouler sa dette.
Les générations futures n’auront pas plus à rembourser la dette que nous aurons à le faire dans les années à venir. De plus, il n’y a pas que les dettes qui seraient transmises aux générations futures, les titres de créance le seraient également. Ceux qui toucheront les remboursements de la dette publique appartiennent aussi aux générations futures.
Il ne s’agit donc en aucun cas d’un conflit générationnel mais bien plus d’un conflit entre les possédants qui touchent des intérêts sur la dette publique et le reste de la population qui subit les coupes dans les dépenses publiques pour rembourser cette dette si on se place dans le cadre d’une politique austéritaire.

Le rôle de la Banque centrale européenne

En mars 2020, lorsque la pandémie a commencé à toucher fortement l’Europe, les écarts de taux d’intérêts entre États européens ont très fortement augmenté. Ainsi, l’Italie, qui était le premier pays européen touché par la pandémie mais aussi l’un des plus fragiles sur le plan économique, a vu ses taux d’intérêts s’envoler tandis que l’Allemagne continuait d’emprunter à taux négatifs. Face à ce constat et devant l’évidence que les États allaient devoir s’endetter massivement pour contrer les effets de la crise sur l’économie, la BCE a annoncé un nouveau programme massif de rachat d’actifs et notamment de titres de dettes publiques. Cela a immédiatement fait effet sur les taux d’intérêts qui se sont resserrés entre États européens et ont permis à des pays comme l’Allemagne et la France de continuer à s’endetter à taux négatifs, alors même que le besoin de financement était immense.
Concrètement, entre mars 2020 et mars 2021, la BCE a acheté pour plus de 2 000 milliards d’euros d’obligations, publiques et privées. C’est notamment du fait de ces rachats massifs de titres que la BCE, via la Banque de France, détient désormais environ 25% de la dette publique française.

Il est tout à fait possible, en remettant en cause les traités européens, que la BCE finance directement les États pour se passer de ces intermédiaires financiers.

Peut-on alléger l’impact de la dette sans recourir à l’austérité ? LES PROPOSITIONS SYNDICALES

Comme nous l’avons vu, la dette publique n’est pas le mal absolu que d’aucuns décrivent. Elle est même très utile, voire indispensable, si elle permet de financer des investissements répondant à des besoins d’intérêt général et non pas les cadeaux fiscaux faits à une minorité. Un moyen simple d’alléger le coût de la dette serait de supprimer la rémunération des sommes ainsi collectées, c’est-à-dire de remplacer l’emprunt par l’impôt. C’est pourquoi la FSU avec la CGT et Solidaire Finance propose une réforme fiscale ambitieuse qui privilégie les impôts directs (sur le revenu, le patrimoine, les bénéfices des sociétés) aux impôts indirects (TVA...) et en renforce la progressivité.
Cela devrait bien sûr aller de pair avec une lutte réelle contre l’évasion fiscale.
La BCE pourrait refinancer à taux nul certains investissements d’intérêt général comme ceux qu’implique la transition énergétique par exemple.
Les banques doivent également être obligées de détenir un quota de titres de la dette publique, contrepartie légitime de leur pouvoir de création monétaire. Cela suppose bien sûr qu’un réel contrôle social s’exerce sur la BCE et sur les banques qui permette de vérifier l’utilité des financements ainsi accordés pour la collectivité. Le pôle financier public à créer pourrait notamment y contribuer.
On devrait enfin annuler tout ou partie de la dette considérée comme illégitime.

Jean-Bernard SHAKI