13 novembre 2019

le métier

De quoi la discipline positive est-elle le nom ? Jugeons sur pièces...

De quoi la discipline positive est-elle le nom ? Jugeons sur pièces...

Suite à notre article "De quoi la « discipline positive » est-elle le nom ? Le recteur de Créteil ne répond pas.." et à notre lettre du 3 octobre, nous avons reçu une réponse du recteur M. Auverlot :

et nous avons été reçu-e-s par la DAFOR , Division académique de la formation et du développement professionnel du rectorat de Créteil.

Contrairement aux affirmations de M. Le Recteur, nos arguments sont documentés, nos informations et nos recherches - visibles sur tous les moteurs de recherche sont sérieuses.

-Nous avons eu accès à la lettre initiale de recommandation du Pr. Eric Debarbieux, ouvrant l’accès en 2017 à l’entrée de l’association « Acteurs de liens » dans l’académie de Créteil


 Nous avons étudié attentivement le guide ressource distribué aux enseignant.e.s qui participent aux formations discipline positive (organisées par Acteurs de lien). Il s’agit d’une édition augmentée (version révisée en 2015) de la traduction de l’ouvrage Discipline positive dans l’établissement et dans la classe : Guide des activités à mener avec les élèves, par Teresa Lasala, Jody McVittie, Suzanna Smitha d’après les travaux de Lynn Lott et Jane Nelsen (éditions Du Toucan, 2012).
 Nous avons visité les sites, blogs des intervenant-e-s de l’association ; répertorié les interventions, réunions , colloques ayant eu lieu depuis un an en Seine Saint Denis.
 Nous avons discuté avec les collègues ayant participé à une ou des interventions des Acteurs de liens dans les établissements et les communes du 93.

De quoi la discipline positive est-elle le nom ? Jugeons sur pièces...

I- Un vernis scientifique douteux : les neurosciences à la rescousse d’une méthode des plus discutables…

1) Un gloubi-boulga neuroscientifique

Le guide fait constamment référence à des pratiques de coaching, de management, d’éducation voire de thérapie qui se présentent comme des outils de communication et de développement personnel. Il n’offre pour toute garantie de sérieux que le label que lui seul s’attribue (à grand renfort de noms servant de cautions scientifiques et d’arguments d’autorité) et cultive un grand flou conceptuel visant à donner une illusion de scientificité et d’efficacité alors qu’il n’a aucun fondement scientifique et que la méthode qu’il dispense n’a jamais été évaluée de manière indépendante et rigoureuse.

On voit donc qu’en matière de scientificité, les références des intervenant.e.s considérées comme des expert.e.s des compétences psycho-sociales chez l’enfant sont plus que douteuses…

2) Une « OPA sur les esprits » (Philippe Champy)

L’offensive menée par les thuriféraires de la discipline positive en France s’inscrit dans un contexte particulier, celui de la querelle que se livrent dans le champ de l’intervention éducative, les sciences de l’éducation et les neurosciences. Depuis une quinzaine d’années, on assiste à un changement de paradigme en sourdine au coeur de la technostructure de l’éducation nationale : les sciences de l’éducation, qui ont contribué à imaginer les fondements d’une école émancipatrice, sont en passe d’être reléguées aux oubliettes, avec tout ce qui relève de la psychologie sociale, des représentations culturelles, des facteurs sociétaux. En 2006 déjà, Gilles de Robien, alors ministre de l’éducation nationale, s’était chargé en son temps de jeter le discrédit sur les sciences de l’éducation en les qualifiant de « fausse science ». Au contraire, les neurosciences, elles, ont le vent en poupe parmi les managers de l’éducation nationale et deviennent l’instrument de validation des injonctions ministérielles : le neuroenchantement est le dernier né des dogmes éducatifs ! Olivier Houdé, spécialiste des neurosciences cognitives et professeur de psychologie du développement à l’université Paris-Descartes), évoque, dans l’un de ses ouvrages, l’inquiétante prise de pouvoir d’une «  technoscience de l’éducation  »1 et Philippe Champy parle fort justement, dans son ouvrage intitulé Vers une nouvelle guerre scolaire, d’une « neurocratie  »2 qui s’installe dans l’ambiance feutrée des couloirs ministériels.

Or, l’impérialisme des neurosciences est tel qu’elles sont en passe de disqualifier toutes les autres disciplines, et spécifiquement les sciences humaines qui se donnent pour objectif d’appréhender la complexité des interactions humaines (enseignant.e / élève). Nous ne pouvons ni ne devons laisser une science «  dure  », dont la modalité de construction et de validation du savoir repose sur la comparaison d’événements « toutes choses égales par ailleurs » dans la solitude d’un laboratoire ou d’un caisson d’IRM, gouverner seule le champ d’investigation de l’éducation.

3) Le Guide des activités à mener avec les élèves : un prêt-à-l’emploi éducatif, une suite de tutoriels indigestes, indigents qui confinent à l’escroquerie

Le document d’accompagnement distribué aux personnels inscrit.e.s à la formation dispensée par l’organisme Acteurs de lien est n’est rien d’autre qu’un prêt-à-l’emploi éducatif, une suite de tutoriels indigestes, indigents. On est souvent proche de l’escroquerie. Il présente des tutoriels behavioristes sans autre fondement que le pur argument d’autorité (« fondé sur la psychologie d’Alfred Adler et Rudolf Dreikurs ») comme la « Grille d’identification des 4 buts / objectifs mirage  »3, une « Introduction aux 4 raisons pour lesquelles les personnes font ce qu’elles font (sic) »4, ou encore une «  Grille d’identification des besoins cachés derrière les comportements inappropriés (GIB) »5

La plupart des activités sont simplistes, manichéennes, caricaturales. Le Guide prévoit l’introduction de « temps d’échanges en classes » (TEC) qui pourront être investis et réinvestis pédagogiquement. Exemple : « Pour les élèves plus grands, vous pouvez, en fonction de votre programme, introduire l’idée des TEC à l’occasion d’un cours d’instruction civique (sic) ou d’histoire qui parle des formes de gouvernements… ». Or, en réalité, le Guide établit une définition très sommaire de concepts politiques complexes : dictature / démocratie / anarchie. On y apprend par exemple que, dans une dictature, le seul rôle des citoyen.ne.s est de survivre ou que l’anarchie est une forme de gouvernement au sein de laquelle « Tout le monde ou personne » prend les décisions (« N’importe qui veut le faire ») : « Chacun se préoccupe de ses propres désirs et besoins ; il n’y a pas d’obligation de prendre soin des autres ou de la collectivité. »6

1 Olivier HOUDÉ, L’École du cerveau. De Montessori, Freinet et Piaget aux sciences cognitives, Mardaga, Bruxelles, 2018, p. 114.
2 Philippe CHAMPY, Vers une nouvelle guerre scolaire. Quand les technocrates et les neuroscientifiques mettent la main sur l’Éducation nationale, éditions La Découverte, 2019, p. 204.
3 Teresa LASALA, Jody McVITTIE, Suzanna SMITHA, Discipline positive dans l’établissement et dans la classe : Guide des activités à mener avec les élèves, d’après les travaux de Lynn Lott et Jane Nelsen, éditions Du Toucan, 2012, p. 20.
4 Ibid., p. 189.
5 Ibid., p. 190.

La méthode adoptée est appliquée sans discernement à partir de la méthode américaine, sans qu’à aucun moment les différences entre nos deux systèmes éducatifs soient évoquées. Il s’agit d’un simple décalque. Ainsi, la « roue des choix » qui schématise un programme de résolution des problèmes n’est même pas traduite dans l’ouvrage. Elle est strictement conforme au modèle original en anglais !7

Contrairement à ce que ne cessent de claironner les intervenant.e.s certifiées en discipline positive, la méthode est présentée comme miraculeuse. Ainsi, dans toutes les premières pages du Guide, la mise en récit d’une anecdote sans la moindre référence tient lieu de parabole. Nous reproduisons cet extrait ci-dessous :

On est en droit d’imaginer les dégâts d’une telle imposture sur les représentations de jeunes enseignant.e.s affecté.e.s dans des établissements de l’éducation prioritaire et confronté.e.s au récit hagiographique d’une pédagogue devenue, en l’espace d’une semaine, une thaumaturge grâce aux prescriptions de la discipline positive !

En définitive, pour nous convaincre d’agir selon ses préceptes, pour nous persuader que l’enfant / l’élève est un être bien intentionné à qui l’on ne peut faire de reproches et qui ne peut rien éprouver de répréhensible, dont on doit accueillir le ressenti sans quasiment jamais le restreindre ou le questionner, la discipline positive neutralise profondément la nature de l’enfant : elle fait de l’enfant un être fragile, incapable, malhabile soumis à la moindre maladresse de parents ou d’enseignant.e.s présenté.e.s comme démuni.e.s, en quête d’outils et de formation pour parfaire l’éducation de leurs enfants ou pallier la faillite supposée de l’école publique. En réalité, la discipline positive s’apparente ni plus ni moins qu’à une opération de neutralisation des affects qui enlève à l’enfance sa complexité, son intensité, sa diversité et sa part de nuit. Pour servir ce discours simpliste, la discipline positive est allée chercher l’une des branches scientifiques les plus complexes – les neurosciences –, laquelle n’en est qu’à sa préhistoire, tant son objet d’étude (le cerveau) est encore largement une terra incognita.

6 Ibid., p. 120.
7 Ibid., pp. 153-155. Le modèle original est disponible sur le site américain de la Discipline positive : https://www.positivediscipline.com/articles/wheel-of-choice

II. Une offensive idéologique et marketing inquiétante…

1) Une offensive idéologique

On peut nourrir de légitimes inquiétudes vis-à-vis d’une méthode qui ressemble trait pour trait à un outil de gestion managériale des adultes : on éradique toute velléité critique, on fige, on naturalise toute forme de violence ou de colère. À l’instar des injonctions à l’innovation et au tout numérique, la mise en place de la démarche psycho-sociale de la discipline positive a pour objectif à peine dissimulé de modifier en profondeur la nature de nos métiers et le paysage éducatif, comme cela est mentionné dans le Guide des activités à mener avec les élèves : «  La modification de la culture d’une école prend du temps , cela nécessite un investissement, de la patience, de la formation et de la pratique. »8.

On connaît la chanson. Le discours des personnels d’enseignement et d’éducation est sans cesse disqualifié, y compris par les promoteur.rice.s de la discipline positive, et parfois même de l’intérieur : les enseignant.e.s seraient arc-bouté.e.s sur leurs prérogatives, pas assez bienveillant.e.s, pas assez innovant.e.s. Il en va ainsi de Céline Damon (CPE, autrice et conférencière – Coach consultante certifiée en DP) qui ne craint pas de révéler à son corps défendant ce qui se cache en réalité derrière le paravent de la discipline positive :
« Ainsi, ne faudrait-il pas envisager de changer la manière de changer ? Sans transiger aucunement sur la fermeté et l’exigence, les plus audacieux oseront-ils, à l’instar de Jean Hubac9, ouvrir la carapace statutaire, développer la confiance et la coopération ? Oserons-nous faire le pari de la Discipline Positive dans tous les établissements scolaires ? »10.

« Ouvrir la carapace statutaire  » ! Le mot d’ordre est lâché : vous, enseignant.e.s, vous qui faites profession au quotidien de malveillance (notes exagérément basses, remarques assassines sur les bulletins scolaires), vous portez la responsabilité première de l’échec de vos élèves ! Il faut changer ! Un débat sur la posture enseignante devient ainsi l’occasion de faire entendre la sempiternelle petite musique sur le statut des enseignant.e.s, à travers l’injonction au changement. Et, naturellement, la rue de Grenelle applaudit à tout rompre cette heureuse entreprise de prestidigitation !

Même le Guide des activités
à mener avec les élèves use d’un langage très connoté, largement inspiré par le Care Management, cette hypocrisie managériale mise au service de l’accroissement de la productivité... Ce document est d’ailleurs très souvent en décalage complet avec l’horizon d’attente des élèves : le Guide utilise un classique du langage managérial, le schéma éculé de la maison pour présenter la discipline positive : la maison DP11.

Lorsqu’on aborde les Responsabilités à donner aux élèves à l’école et dans la classe12, on apprend, entre autres choses, qu’un.e enfant préposé.e à gonfler et entretenir les ballons à l’école est un.e « régulateur.rice d’air »13 ! Pour cela, il.elle doit remplir une fiche d’ « entretien d’embauche  » (sic) qui mentionne : « Donnez-nous un exemple de votre vie dans laquelle vous avez su démontrer des qualités de leadership, de résolution de problèmes, ou des capacités de co-équipier. »14

8 Ibid., p. 9.
9 Jean HUBAC : IA-IPR d’histoire-géo (Rouen) .DASEN de la Somme, département pilote quant à l’expérimentation de la DP. Il vient d’être nommé à la DGESCO en charge de l’innovation pédagogique… Une coïncidence, sans doute.
10 Céline DAMON, La Discipline Positive au collège et au lycée : Gouvernance démocratique et qualité du climats scolairehttps://www.linkedin.com/pulse/la-d...
11 Teresa LASALA, Jody McVITTIE, Suzanna SMITHA, Discipline positive dans l’établissement et dans la classe : Guide des activités à mener avec les élèves, d’après les travaux de Lynn Lott et Jane Nelsen, éditions Du Toucan, 2012, p. 19.
12 Ibid., pp. 39 et sq.
13 Ibid., p. 40.
14 Ibid., p. 43.

On trouve également au sein de ce manuel méthodique un ensemble de mots d’ordre : « Nous recherchons des Solutions (sic)… pas des Coupables (sic) ! »15, largement inspirés de la rhétorique publicitaire. À ce titre, on appréciera particulièrement les nombreuses références à cette technique d’idéation de groupe initiée par le publicitaire américain Alex Osborn, fondateur en 1919 de l’agence de publicité BDO, nous avons nommé le Brainstorming Réfléchir ensemble »)16 qui, on le sait, induit des biais cognitifs lorsqu’on est en présence de supérieur.e.s hiérarchiques dans un groupe…

Enfin, les thuriféraires de la discipline positive seraient bien inspiré.e.s de rejoindre notre dimension de l’espace-temps afin de nous expliquer dans quelle mesure les enseignant.e.s sont supposé.e.s avoir le temps de mettre en place les activités proposées qui, quand elles ne sont pas chronophages au point d’empiéter très largement sur la progression des cours (« Investir du temps pour mettre en place le processus d’utilisation d’un ordre du jour du TEC, ce qui permet de gagner du temps et éviter des confusions pour plus tard  »17), sont totalement hors sol, à l’image d’ordres du jour destinés à des élèves de... maternelle !

2) Du business à destination de parents et de professeur.e.s présenté.e.s comme démuni.e.s, en quête d’outils et de formation pour parfaire l’éducation de leurs enfants ou pallier la faillite supposée de l’école publique

Les enseignant.e.s, et spécifiquement les moins expérimenté.e.s, qui sont nombreux.ses en éducation prioritaire (rappelons que les 2 établissements désignés pour cette expérimentation pilotée par la Préfecture dans le cadre de la politique de la ville sont 2 collèges REP+, La Courtille à Saint-Denis et Jean Lolive à Pantin) sont, avec les parents d’élèves, le coeur de cible des intervenant.e.s. C’est la raison pour laquelle, alors même que l’association Discipline Positive France prétend être à « but non lucratif »18, le Guide à l’usage des enseignant.e.s est truffé de références incessantes à des ouvrages présentés comme indispensables, disponibles à la vente sur les différentes sites d’une structure aux faux-nez multiples.19

La ficelle est grosse, le subterfuge est éventé. Cette association « à but non lucratif » sert de caution à des « prestataires » qui, elles.eux, monnaient grassement leurs interventions et profitent de l’argent public pour faire la publicité de leurs services, tout en se prévalant d’un label, en l’occurrence celui de l’académie de Créteil 20, qu’ils.elles n’ont jamais obtenu ! C’est ainsi qu’adhérer à l’ADPF (Association Discipline Positive France), c’est… « Pouvoir mentionner sur les correspondances et outils de marketing : membre de l’Association Discipline Positive France »21. On comprend mieux pourquoi l’association Discipline Positive France se dégage de toute responsabilité vis-à-vis de l’éthique de chaque formateur.rice dans sa charte : «  L’Association Discipline Positive France apporte tout le soin possible au respect de ces principes éthiques, mais ne peut se porter garante de leur respect par chaque formateur individuellement. » 22 !

15 Ibid., p. 161-162.
16 Ibid., pp. 167 et sq.
17 Ibid., p. 177
18 Ibid., p. 214
19 http://www.disciplinepositive.fr/?p...
20 Le logo de l’académie de Créteil est visible sur la page d’accueil du site d’Acteurs de lien : https://www.acteursdelien.com
21 Teresa LASALA, Jody McVITTIE, Suzanna SMITHA, Discipline positive dans l’établissement et dans la classe : Guide des activités à mener avec les élèves, d’après les travaux de Lynn Lott et Jane Nelsen, op. cit., p. 215. 22 Ibid., p. 221.

Acteurs de lien est un des faux-nez d’une organisation tentaculaire. À titre d’exemple, Clotilde Bacqué est intervenue à plusieurs reprises au collège La Courtille (Saint-Denis) sans que les services académiques l’aient jamais rencontrée. Cette intervenante a son propre site Internet de formation, éducation et coaching23 et apparaît en lien avec plusieurs déclinaisons de la discipline positive en France : Acteurs de lien24, ADPF25, ou encore, dans l’académie d’Amiens (qui a fait de la discipline positive l’une de ses priorités), Connectivité26. On a donc affaire à un petit milieu fermé qui a ses entrées dans l’institution scolaire et un aplomb d’enfer !

La discipline positive a d’abord essaimé dans des établissements privés et a même eu l’occasion de frayer avec une association proche de l’extrême-droite et des milieux ultra-libéraux, en l’espèce SOS éducation, preuve qu’on est peu regardant.e lorsqu’il s’agit de vendre sa soupe : en témoigne la conférence donnée le 19 janvier 2017 par Béatrice Sabaté à Asnières (92) et intitulée : « Comment donner un cadre ferme tout en étant bienveillant  »27.

L’action conduite avec le blanc-seing des autorités académiques sur le territoire de Seine-Saint-Denis dans 2 réseaux d’éducation prioritaire (à Saint-Denis et Pantin) est censée être complémentaire d’une action initiée par l’ex-Préfète déléguée à l’égalité des chances auprès du Préfet de la Seine-Saint-Denis. Dans le cadre de la politique de la ville, la préfecture finance l’intervention d ’Acteurs de lien auprès de personnels municipaux et de parents d’élèves du même secteur. En effet, à bien regarder les tarifs prohibitifs affichés par les formateur.rice.s certifiées par ADPF28 en région parisienne, il semble difficile pour des familles issues des classes populaires de payer entre 250 € et 600 € de formation ! Difficile aussi de lire des livres de parentalité quand, comme certains parents, on n’a pas été à l’école très longtemps. Difficile enfin de respecter le point de vue de son enfant lorsque toute la société vous renvoie quotidiennement que vous êtes du côté des « gens qui ne sont rien  » ! La discipline positive joue alors son rôle de vernis qui occulte les inégalités sociales : mais, à coup sûr, elle ne les fait pas disparaître !

III. … et un blanc-seing institutionnel ?

Que cherche l’institution scolaire en donnant un blanc-seing à de telles officines ? Pas un renforcement du pouvoir d’agir des enseignant.e.s ou des parents d’élèves, pour sûr ! Une adhésion zélée à des mots d’ordre et à des injonctions au bonheur ? Peut-être... Mais plus que tout, ces officines ont un avantage indéniable : elles font faire des économies substantielles à l’État ! Alors que l’Éducation nationale connaît un manque criant de moyens horaires et humains, la « bienveillance  », la discipline positive sont des mots d’ordre tout trouvés car elles ne coûtent rien (ou si peu) ! Ces injonctions masquent l’impuissance des pouvoirs publics à réduire le fossé entre les enfants des classes favorisées et ceux des classes populaires sous couvert de discours pseudo-égalitaires de bon teint. Avec la discipline positive, on enduit les savoirs d’une bonne dose de moraline pour éviter de voir la réalité plus crue du renoncement de l’institution scolaire à faire accéder les enfants des classes populaires aux savoirs légitimes.

Dans un excellent article du Monde diplomatique, Samuel Dumoulin et Clothilde Dozier ont analysé cette promotion incessante de la « bienveillance » au coeur de l’institution scolaire qui fait écho à l’instauration de l’évaluation par compétences. Il.Elle.s écrivent ainsi : « Toutes deux convergent pour masquer les ratés de la massification scolaire. Le souci de la bienveillance conduit par exemple, en primaire, à nommer des élèves responsables, chaque semaine, de multiples missions dénuées d’objectifs cognitifs, telles qu’essuyer le tableau, ramasser les cahiers, mettre en rang ses camarades avant l’entrée en classe, etc., instaurant une confusion prégnante entre le savoir à acquérir et les tâches à effectuer. Dès lors que celles-ci sont évaluées en tant que telles, comme une forme de « savoir-être  », dans les référentiels de compétences désormais généralisés à tous les échelons de l’institution scolaire, l’enfant sociable et volontaire pour éteindre les lumières et baisser les persiennes a tout lieu de croire, et sa famille avec lui, qu’il remplit sa part du contrat. Même s’il ne maîtrise pas la lecture.  »29

La discipline positive s’inscrit dans la même logique lorsqu’elle entend distribuer des « responsabilités » en classe ou permettre le travail de compétences30. La mise en orbite de la discipline positive dans l’univers éducatif et spécifiquement dans l’académie de Créteil a pour intérêt premier d’escamoter les causes réelles de l’échec scolaire. Parfaitement adaptée aux politiques d’austérité menées par les législatures successives, elle en est aussi le parfait paravent : en effet, elle détourne l’attention de questions névralgiques telles que le nombre d’heures de cours dispensées ou le nombre d’élèves par classe.

23 http://www.formation-education-coac...
24 https://www.acteursdelien.com/acteu...
25 http://disciplinepositive.fr/annuai...
26https://www.connectivité.com/l-equipe
27 https://www.acteursdelien.com/2017/... Depuis notre intervention auprès du Rectorat de Créteil, le lien vers le site de SOS éducation a mystérieusement disparu.
28 http://www.disciplinepositive.fr/?cat=25
29 Clothilde DOZIER et Samuel DUMOULIN, La « bienveillance », cache-misère de la sélection sociale à l’école, in Le Monde diplomatique, septembre 2019 https://www.monde-diplomatique.fr/2...
30 https://www.acteursdelien.com/les-c...
Pour toutes ces raisons, le SNES-FSU Créteil continue de demander la suppression de la formation Discipline positive imposée sans l’accord de la communauté enseignante dans 2 collèges REP+ de Seine-Saint-Denis (La Courtille à Saint-Denis et Jean Lolive à Pantin) ainsi que le retrait de toutes les formations PAF indiquées dans notre courrier à M. le Recteur du 3 octobre dernier.