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Pourquoi nous ne lirons pas la lettre de Guy Môquet
Une note de service du ministre de l ?éducation nationale indique que « La commémoration au cours de la matinée du 22 octobre commencera par la lecture, en classe ou en grand groupe selon le choix des établissements, de la lettre de Guy Môquet ». Cette obligation commémorative a été étendue aux collèges du 94.
S’il peut paraître, au premier abord, essentiel de vouloir rappeler aux jeunes générations les drames de la seconde guerre mondiale, ainsi que le courage et les souffrances des résistants au nazisme, nous devons nous demander quelle est la pertinence d’une telle commémoration, dans la forme qu’elle est censée adopter.
Rappelons d’abord que les professeurs d ?histoire n ?ont pas attendu l ?injonction du président pour présenter, expliquer, analyser la résistance au nazisme : la seconde guerre mondiale figure en bonne place du programme des classes de troisième. Les professeurs ont ainsi toute liberté pour faire lire, exploiter, analyser tous types de documents y faisant référence, et parmi eux, s’ils le souhaitent, la lettre de Guy Môquet. Il est à noter que cette dernière, aussi émouvante soit-elle, apporte peu pédagogiquement : tragique témoignage d’un résistant qui dit adieu à ses proches à quelques heures d’être fusillé, elle fait aisément appel à l’émotion, mais offre de fait peu prise à la réflexion et pire, sortie de son contexte, perd tout sens historique. Peut-on imposer à un professeur de mathématiques par exemple, d’improviser, coincé entre deux cours de géométrie, une complexe leçon d’Histoire, qui ne saurait se réduire à la lecture compassionnelle d’un texte déchirant ?
En conséquence, une bonne part du corps professoral s’interroge sur l’opportunité et la finalité d’une telle démarche, voulue par le seul chef de l’Etat. Libre à lui de récupérer, dans une stratégie de communication qu’il devra assumer, et de laquelle les citoyens avertis ne seront pas dupes, une figure de la résistance communiste telle que Guy Môquet ; les enseignants doivent en revanche, dans un clair souci de déontologie, refuser de s’en faire les relais, à moins d’accepter de participer à l’écriture et la transmission d’une Histoire « officielle » qui leur est imposée.
Au contraire, le plus bel hommage qui puisse être rendu à un homme comme Guy Môquet, mort pour avoir défendu dans une des périodes les plus noires de l’Histoire sa liberté de conscience, n’est-il pas de refuser son instrumentalisation, quelque soixante années plus tard, à des fins politiques ?
C’est pourquoi des professeurs du collège Lucie Aubrac de Champigny-sur-Marne, réunis mardi 16 octobre, ont décidé de ne pas lire cette lettre à leurs élèves et invitent l ?ensemble de leurs collègues des autres établissements à en faire de même.
En revanche, nous préparons pour le 1er anniversaire de la mort de Lucie Aubrac, en mars, une commémoration qui fera sens pour nos élèves.