17 octobre 2007

actu des établissements

Lettre des collègues du lycée Jacques Brel de La Courneuve pour expliquer leur refus de lire la lettre de Guy Môquet

Cette lettre a été signée par une majorité d’enseignants.

Monsieur le Proviseur,

Le 22 octobre doit être lue la lettre que Guy Môquet écrivit à sa mère juste avant d ?être fusillé en 1941. Des raisons historiques et pédagogiques font que je vous informe par la présente que je ne participerai pas, ni en tant que professeur d ?Histoire, ni en tant que professeur principal, à cette commémoration.

Des raisons historiques d ?abord : l ?Histoire est une science et les élèves attendent de nous que les faits enseignés soient exacts. Guy Môquet est présenté dans l ?encart au bulletin officiel daté du 2 août 2007 comme un « élève résistant du lycée Carnot », comparé à Gilbert Dru, aux élèves du lycée Buffon ou aux fondateurs de la Rose Blanche. Or le cas de Guy Môquet est différent : il ne fut pas fusillé parce que résistant, mais parce que communiste.

Guy Môquet est arrêté sur dénonciation le 13 octobre 1940 par des policiers français alors que, membre des Jeunesses communistes clandestines, il distribue des tracts pacifistes. A cette époque, le Parti communiste français est clandestin : sa dissolution a été prononcée le 26 septembre 1939 suivant le décret-loi Daladier interdisant la propagande communiste, après que le PCF ait approuvé l ?invasion de la Pologne, alliée de la France, par l ?Armée rouge, alliée de l ?Allemagne hitlérienne. Le Parti communiste français n ?entre dans la Résistance qu ?après juin 1941 et l ?invasion de l ?URSS par l ?Allemagne.

Lorsque Guy Môquet est fusillé, il est en prison depuis son arrestation : certes le statut du PCF a évolué, mais pas les causes de l ?arrestation. Il n ?est pas ici question de refuser d ?honorer la mémoire de cet adolescent, mais il revient au professeur d ?Histoire d ?en expliquer les vraies raisons, qui ne figurent pas dans l ?encart au bulletin officiel : il fut fusillé, avec vingt-six autres otages, tous communistes. « Individuelle ou collective, nationale ou européenne, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est encore aujourd ?hui une condition du vivre ensemble » trouve-t-on écrit dans l ?encart au BO : entièrement d ?accord. Pourquoi, en ce cas, travestir cette mémoire ?

Des raisons pédagogiques justifient également mon refus :

  le texte qui va être lu est une lettre particulièrement émouvante, mais qui n ?a pas de contenu historique. Or l ?Histoire ne se fait pas, ne se comprend pas uniquement à l ?aune des émotions suscitées.

  le texte va être lu hors de tout programme, hors de toute logique de progression pédagogique, en interrompant la leçon commencée. Soit il s ?agit d ?une simple lecture, mais depuis le collège, les professeurs d ?Histoire expliquent aux élèves qu ?un texte tiré de son contexte n ?a aucune valeur explicative. Soit le texte est expliqué ? le BO évoque « une réflexion collective menée dans le cadre de la classe » - : sur quelles bases ? L ?enseignement de la Seconde Guerre mondiale est prévu en 12 heures en Première, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale est prévue en 4 heures en Terminales L et ES. Comment mener une réflexion collective sans faire cours ?

Il est devenu courant depuis quelques années d ?instrumentaliser l ?Histoire à des fins politiques : ainsi l ?année dernière ne devions-nous enseigner que les aspects positifs de la colonisation. Cette idée recula devant la mobilisation des historiens. Il en va de même avec l ?exemple présent. Cela est contraire à ce qu ?est l ?Histoire, à ce que nos maîtres nous ont enseigné durant nos études universitaires et à notre déontologie.
J ?évoquerai la mort de Guy Môquet en Première, quand la progression du programme le justifiera, c ?est-à-dire à la fin du deuxième trimestre, pas à la va-vite le 22 octobre. Je ne l ?évoquerai pas en TS, car ce n ?est pas au programme.

Veuillez agréer, Monsieur le Proviseur, l ?expression de mes salutations respectueuses.