Monsieur le Directeur académique, Mesdames, Messieurs,
Cette année a été marquée par de nombreux mouvements sociaux d’une ampleur inédite. Il semblerait que le vieux carcan de la politique classique et ses rituels électoraux et médiatiques de dépossession soient corrodés. On a bien tenté de mettre en scène les mêmes jeux de pouvoir vitrifiés, la même mise en scène des corps sans monde : en avril et en mai, il fallait ramener le calme, il fallait ramener l’ordre et faire pâturer la population moutonnante dans les bureaux de vote. Pourtant, des Gilets jaunes aux manifestations pour le climat, nombre de personnes ont résisté à leur invisibilisation par le pouvoir central et ses réseaux pour exiger une hausse des revenus des salarié.e.s et des retraité.e.s, plus de services publics, un véritable partage des richesses, des conditions de vie meilleures, en somme une politique des communs qui tient en respect la brutalité néolibérale du gouvernement. Foin de la politique qui abstrait l’humain du réseau des choses, des lieux, des paroles, des affects ! Les manifestant.e.s veulent voir abolie toute forme de pouvoir qui leur a échappé. Ainsi, depuis le mois de mars, un important mouvement social touche la fonction publique hospitalière à travers les services d’urgence. Ces mobilisations multiples marquent le rejet de plus en plus important de la politique gouvernementale par une large majorité de la population.
S’il avait un autre but que celui de se maintenir coûte que coûte partout où rien ne se passe, partout où ça fonctionne, partout où règne une situation normale, s’il avait une autre vision que la perspective tronquée de gérer le désastre, la reconfiguration politique en cours aurait dû amener le pouvoir à s’interroger. Les élections européennes ont confirmé l’ancrage de l’extrême-droite dans le paysage et le rejet par la grande majorité de la population du programme mis en œuvre par le gouvernement. Le 12 juin dernier, Édouard Philippe a présenté un « acte II » de l’action gouvernementale qui poursuit les 25 orientations engagées. Plusieurs pans du système de protection sociale sont directement menacés, comme l’assurance-chômage. La réforme des retraites annonce des reculs importants : même si l’âge légal de départ semble devoir être maintenu à 62 ans, il est fait référence à un « âge d’équilibre » entre 63 et 64 ans. Le régime de retraite par points sera par ailleurs une occasion pour le pouvoir de baisser le niveau des pensions, et particulièrement celui des enseignant.e.s, dont le régime indemnitaire reste inférieur à celui des autres fonctionnaires et dont les salaires sont bloqués depuis de nombreuses années.
C’est à une conception du service public héritée du programme des Jours heureux que s’attaque le gouvernement lorsqu’il entend imposer la figure du fonctionnaire sujet et la suppression du paritarisme au sein de son projet de réforme de la fonction publique. C’est aussi, à n’en pas douter, une attaque contre les personnels et contre leurs organisations syndicales. Priorité au contrat et démantèlement du statut, importance accrue de la hiérarchie, possibilité de licencier des fonctionnaires, suppression de tous les cadres collectifs de promotion, de notation, d’avancement, disciplinaires, laissant libre cours au népotisme, conformant à la vassalité. En définitive, ce sont tout à la fois l’égalité d’accès à la fonction publique et l’indépendance des fonctionnaires vis-à-vis du pouvoir politique comme de l’arbitraire qui disparaissent.
Le gouvernement aura ainsi les mains libres pour remettre en cause le droit de grève et de manifestation dans une société atomisée où l’individu est la proie d’un libéralisme existentiel qui tend à le.la rendre éminemment gouvernable, empêché.e qu’il.elle est de tisser des solidarités matérielles, affectives, politiques, tandis que l’imaginaire de la monarchie républicaine continue de tourner à plein régime, à l’image de l’embrigadement nationaliste et militariste que préparent les nouveaux Chantiers de la jeunesse française, nous avons nommé le SNU (Service National Universel). Mais derrière les uniformes et les rites pompiers de ces colonies de vacances dispendieuses pour idolâtre de la macronie en mal de drapeau, derrière le ridicule des poses, des postures, des moulinets patriotiques, le pouvoir poursuit sa dérive autoritaire et réprime les mouvements sociaux. Des enseignant.e.s en ont été victimes à Paris, à Nice, à Toulouse. Le SNES-FSU continue de condamner toutes les violences policières et participera à toutes les initiatives visant à les mettre en échec. Nous exigeons l’abandon des poursuites et l’amnistie des personnes déjà condamnées pour des faits de manifestation.
Dans l’éducation, c’est avec la même brutalité et le même mépris que le gouvernement tente d’imposer ses réformes et ses lois mais, là encore, les actions de résistance aux réformes en cours restent fortes. Contrairement aux éléments de langage que dispense le service de propagande de la rue de Grenelle, de nombreux établissements ont été touchés, tout au long de l’année, dans le département comme ailleurs, par des actions locales visant à revendiquer des moyens et à contester la mise en place des réformes des lycées et du baccalauréat. On connaît la vieille ruse du ministère de la post-vérité et la machine à boniments de la rue de Grenelle tourne à plein régime : ce dont on ne parle pas n’existe pas. Le 17 juin dernier, à l’initiative du SNES-FSU, une large intersyndicale a appelé avec des collectifs d’enseignant.e.s à la grève le premier jour du baccalauréat. Contrairement aux annonces de Jean-Michel Blanquer sur les chiffres de grévistes (et ce, avant même l’heure où les collègues étaient censé.e.s prendre leur service !), en Seine-Saint-Denis, la plupart des centres d’examen ont été perturbés et ont eu des difficultés à assurer la surveillance des épreuves : environ un tiers des personnels convoqué.e.s ce jour-là dans les centres d’examen de notre département ont fait grève, les chef.fe.s de centres ont dû recourir massivement à des personnels non enseignants pour assurer les surveillances (AED, agent.e.s administratif.ve.s, retraité.e.s appelé.e.s...) ou faire composer les élèves dans des réfectoires ou des salles polyvalentes dans le but de limiter les besoins en surveillance. Dans beaucoup d’établissements, des irrégularités ont ainsi été constatées : surconvocation massive, un.e seul.e surveillant.e par salle, absence de surveillant.e.s dans les couloirs, surveillant.e.s extérieur.e.s (personnels de gestion, de direction, voire des personnes n’appartenant pas à l’éducation nationale !). Des piquets de grève et des assemblées générales ont permis de conforter la mobilisation. En Seine-Saint-Denis comme ailleurs, quoi qu’en dise Jean-Michel Blanquer, le baccalauréat 2019 ne s’est pas déroulé dans des conditions normales et il en porte l’entière responsabilité !
Les jours suivants, la grève a été reconduite dans une quinzaine d’établissements du département. Malgré cette mobilisation d’ampleur, le ministre est pour l’heure resté sourd à nos revendications : depuis des mois, les personnels luttent contre la loi Blanquer qui introduit une logique de tri social et entreprend de mettre au pas les personnels (article 1), contre les réformes des lycées et du baccalauréat, contre le projet de loi fonction publique qui sape nos droits et garanties collectives, réclament leur retrait et exigent des créations de postes à la hauteur des besoins ainsi qu’une revalorisation salariale significative. Pendant ce temps, les mesures vexatoires à l’encontre des enseignant.e.s s’accumulent, à l’image de l’obligation de formation pour les personnels de l’éducation pendant les périodes de vacances scolaires, retirée du projet de loi fonction publique et finalement imposée par décret ministériel.
La préparation de la rentrée dans les lycées généraux et technologiques confirme chaque jour un peu plus nos inquiétudes. De nombreux.ses chef.fe.s d’établissements ont fait le choix de proposer aux élèves les spécialités de première générale en « triplettes » afin d’être en mesure de constituer des emplois du temps. Le choix offert aux élèves pour ces spécialités a été réduit à l’offre de leur établissement d’origine, et maintenant, on demande à certaines familles de revoir leurs choix afin de fermer des spécialités dans lesquelles le nombre d’inscrit.e.s est insuffisant pour être « rentable ».
En Seine-Saint-Denis, la logique d’économies budgétaires l’emporte une nouvelle fois sur les nécessités pédagogiques et éducatives ! Alors que la dotation moyenne en assistance éducative était de 1 AED pour 72 élèves à la rentrée 2015, 1 AED pour 74 élèves à la rentrée 2016, 1 AED pour 78 élèves à la rentrée 2017 et de 1 AED pour 80 élèves à la rentrée 2018, la baisse se poursuit avec seulement 10 AED supplémentaires prévus pour la rentrée 2019 pour 2 000 nouveaux.elles élèves ! De nombreux.ses enseignant.e.s mais aussi des parents d’élèves vous ont pourtant alerté sur la dégradation du climat scolaire dans leur établissement, à l’instar du collège Jorissen de Drancy, où le taux d’encadrement va diminuer, malgré près de 3 semaines de mobilisation déclenchées par une recrudescence inédite d’incidents graves. D’autre part, certains collèges de l’éducation prioritaire semblent sacrifiés sur l’autel de cette austérité, comme le collège Jean Renoir de Bondy qui comptera à la rentrée prochaine un AED pour 115 élèves alors qu’il est classé REP et accueille des élèves allophones. À Saint-Denis, qui a connu tout au long de l’année de graves tensions dans et aux abords des établissements scolaires, la DSDEN se contente de compenser l’existant et n’a en aucun cas pris la mesure de la problématique du territoire : certes, la DSDEN alloue 1,5 ETP supplémentaire au collège Dora Maar où le nombre de postes d’assistance éducative confinait à l’anomalie pour un établissement classé REP et aux effectifs en constante augmentation depuis son ouverture mais en revanche, nous déplorons qu’aucune mesure d’accompagnement n’ait été décidée en termes de moyens vie scolaire (AED, AP, APS) au collège La Courtille, à Elsa Triolet ou encore au collège Fabien qui revendiquaient chacun des moyens horaires et humains supplémentaires pour mieux accompagner les élèves après une année particulièrement éprouvante pour les élèves, leurs parents ainsi que l’ensemble des personnels. La mission vie scolaire, dépêchée par l’inspection académique dans les situations d’urgence, aussi attentive et force de propositions soit-elle, ne peut à elle seule combler ad nauseam le manque de moyens pérennes dans les services « vie scolaire » de notre département (CPE et AED). Et pourtant, c’est bien de cela dont nous avons besoin : des personnels éducatifs en nombre suffisant ! Bien au contraire, les mesures d’ajustements des dotations qui nous sont proposées ici sont très loin de répondre aux besoins.
Pour toutes ces raisons, le SNES-FSU 93 appelle d’ores et déjà tou.te.s les collègues :
• à se prononcer collectivement, dans les réunions d’entente, les jurys, les assemblées générales, pour la rétention des notes du baccalauréat, ainsi qu’en ont déjà décidé, dans plusieurs académies, dont la nôtre, des assemblées générales de professeur.e.s de philosophie, d’histoire-géographie, de SES et de lettres ;
• à l’issue d’assemblées générales dans les collèges, à faire grève le premier jour des surveillances des épreuves du brevet, le lundi 1er juillet prochain ;
• à réfléchir aux suites à donner à ces mobilisations multiples : grève des corrections du brevet, boycott des jurys de délibération du baccalauréat.
En attendant, puisque nous sommes réuni.e.s aujourd’hui afin de préparer la prochaine rentrée, et avant d’aborder de manière plus détaillée la situation des établissements du département, nous avons quelques questions et observations :
• Comment se fait-il que nous soyons réuni.e.s aujourd’hui pour répartir des moyens dont l’enveloppe globale n’a pas encore été soumise par le Recteur en Comité technique académique (le dernier CTA de l’année scolaire 2018-2019 ne devant se réunir que le 4 juillet prochain) ?
• Comment justifiez-vous la nouvelle baisse du taux d’encadrement des élèves dans le second degré en Seine-Saint-Denis, cette année encore ? 1 seul poste d’enseignant.e et 10 ETP d’AED pour 2 000 élèves de plus, et ce malgré les nombreuses alertes dont vous avez fait l’objet quant à la dégradation du climat scolaire dans les établissements par les enseignant.e.s et les parents d’élèves ?
• Concernant la répartition des moyens d’assistance éducative qui nous sont présentés aujourd’hui, pouvez-vous nous indiquer les critères qui ont présidé aux choix de la direction académique ?
• Concernant la dotation horaire, quelle enveloppe vous reste-t-il à l’heure actuelle pour permettre d’éventuels nouveaux ajustements, notamment des créations de divisions ?
• À l’occasion du dernier CTSD, suite à notre demande, la direction académique nous avait annoncé qu’en juin, elle nous présenterait un bilan de l’utilisation des moyens dévolus au programme Devoirs faits. Dont acte. Pouvez-vous nous indiquer le volume de l’enveloppe d’HSE qui a été allouée cette année pour financer ce dispositif et dresser un bilan de son utilisation dans le département ?
Nous vous remercions de votre attention.
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